Pour écraser le grain, les peuples primitifs se servaient du mortier et du pilon ou de pierres plates. Ce système ensuite perfectionné fait place à l’usage des meules. Celle du dessous est fixe, l’autre est mue à bras, remplacée d’abord par la traction animale, puis vient l’utilisation des forces motrices naturelles : vent, rivières, marées et enfin mécaniques : à moteur thermique ou électrique.
L’existence du moulin d’Auxon Dessous est attestée par acte de ratification de la Chambre des Comptes de Besançon du 18 août 1565: « Maître Regnaud Tournand, notaire et citoyen de Besançon a acquis depuis treize ans de Jean Auderel, un pré avec un moulin à Auxon Dessous ».Donc il roule, tel est le verbe employé, déjà en 1552, sinon plus tôt. Car en 1360 il est la propriété d’Henri de Faucogney et l’autorisation d’utiliser ses services en est donnée aux habitants et voisins.Son propriétaire doit en 1565 une redevance de 5 sols au seigneur du lieu, payable à la Saint Martin d’hiver. Elle fait encore partie des possessions de Claude-Antoine Buson en 1609 ainsi qu’en 1620. La redevance augmente progressivement pour atteindre à la révolution la somme de 2 livres et 5 sols. Elle est due aussi au curé comme le rappelle Antoine Vallet le 9 mai 1729 car : « il appartient au curé d’Auxon Dessous un cens annuel (sorte de fermage) de 2 livres sur le moulin et mouture franche comme en ont toujours joui les sieurs curés parce que le moulin est bâti sur un pré dit « le pré Verney » qui appartient à la cure ». En 1790 s’ajoute un impôt pour la contribution patriotique de 7 livres, 8 sols et 6 deniers.En 1714, le moulin est racheté à Guillaume Menin par Jacques Perruche.
Ouvrier spécialisé, le meunier n’en est pas le propriétaire. On peut citer en 1763 : Pierre Gavoillot, en 1776 Louis Roussel remplacé par Jean Claude Roussel en 1778 ; à partir de 1786 Alexandre Mairey puis Auguste Girardin. D’autres meuniers travaillèrent plus ou moins longtemps au gré de leur employeur.
Au début du 19° siècle, le moulin devient pour plusieurs décennies propriété de la famille Fouras. Le nom d’Antoine Fouras apparaît dans des documents dès 1815, Jean Baptiste en 1849 et Pierre Claude en 1853. Irène Bourgon, veuve d’Augicourt, en est propriétaire en 1882 et à son décès en 1894 le lègue à l’archevêché en la personne du prêtre Louis Marie Seguin. Il passe l’année suivante au vicaire général Beuvain de Beauséjour et au curé de la paroisse Saint François Xavier de Besançon M. Courlet de Vregille.
En 1915, messieurs Jules et Henri Pasquier signent un bail de location sous conditions d’assurer les réparations locatives et l’entretien de la machinerie, stipulant de « ne pas battre pour le public, si ce n’est, dans certains cas, pour le château… avec la permission du régisseur »
Le bâtiment abritant cette industrie et le logis d’habitation ont subi au cours des siècles des modifications et agrandissements émanant des propriétaires successifs. On remarque encore de nos jours, sur les linteaux des fenêtres du premier étage, la date de 1722 sur la partie ouest et 1732 à l’aile sud. Un escalier extérieur desservait l’étage où l’on trouve encore un four à pain et une cheminée en pierre sur colonne avec sa plaque de contrecœur datée de 1722. Une autre cheminée, à l’imposant manteau de plus de deux mètres, fait l’angle dans un petit logement du rez-de-chaussée occupé en partie par les meules. Celles-ci étaient actionnées par un système de poulies et renvois les reliant aux roues à aubes remplacées plus tard par une turbine verticale.
Deux vannes permettaient la mise en rotation des roues placées après la chute d’eau. Au barrage de retenue, construit près du pont, d’autres vannes alimentaient le bief d’amenée et devaient être relevées en cas de crue pour éviter l’inondation du bas du village. Pour prévenir l’érosion due aux turbulences et la violence du courant à la sortie du moulin dans le canal de fuite, le bief aval était aménagé d’un pavage bloqué entre des poutres et entretoises en chêne.
Le moulin fonctionnait par intermittence, selon la demande de grains à moudre en farine ou de graines à presser pour l’huile, mais aussi en fonction du débit du ruisseau.Pour son fonctionnement l’eau du ruisseau alimentait le bief depuis un barrage établi au pont. Cette retenue provoquait, lorsque les pluies étaient abondantes, l’inondation du bas du village. Les habitants qui s’en plaignent adressent au maire en décembre 1816, cette déclaration: « Les cultivateurs observent que le sieur Antoine Fouras, propriétaire d’un petit moulin a bâti une digue avec de grosses pierres qui empêchent la libre circulation des eaux. Il se forme parfois une nappe d’eau assez étendue et profonde, qu’au vu de la saison rigoureuse, il serait bien imprudent de faire entrer les animaux dans l’eau et invitent les membres du conseil à faire cesser cet inconvénient ».Le maire prend en considération l’exposé des cultivateurs et les plaintes portées par divers particuliers inondés. Ce qui n’arrivait pas avant la construction de la digue.Les plaignants arguent que « toutes les voitures qui souhaitent correspondre, soit avec la ville, soit avec les villages voisins, n’ont pas d’autre chemin pour sortir du village ». Il est décidé d’écrire à A. Fouras pour le sommer d’enlever les matériaux qu’il a mis devant le déchargeoir.Trois mois passent et il semble qu’il n’y ait rien eu de fait car en mars 1817 le conseil municipal demande à Antoine Fouras de présenter les titres de propriété du moulin pour s’assurer qu’il y est fait mention de la hauteur du barrage. L’intéressé répond qu’il n’a d’autre titre que son contrat d’acquisition.Le barrage n’a donc pas de base légale mais il ne sera pas démoli pour autant car il est nécessaire pour élever le niveau de l’eau afin qu’elle puisse emprunter le bief.
La situation reste inchangée pendant près de vingt ans. En 1834, le pont montre des signes de vétusté, « est entièrement usé et hors de service et qu’il est très urgent d’en construire un autre ». Ce qui sera réalisé en 1836.Cependant ces travaux de reconstruction ont entraîné la démolition du barrage. L’entrepreneur le rétablit dans son état d’origine dès 1836, ce que reconnait le maire : « il est de la même hauteur que l’ancien mais fait de mauvaises pierres donc moins solide ».
Revenu dans la position antérieure avec ses désagréments, le Maire adresse un courrier à A. Fouras le sommant de démonter le barrage. Il réplique en février 1837 en écrivant au Préfet, que « ce barrage a toujours existé».Une enquête auprès de la population est diligentée en avril 1837. Doit-on ou non autoriser le fonctionnement du moulin. Elle recueille 56 voix pour, 3 contre.S’appuyant sur les rapports des experts, le maire, Louis Pingaud, en tire les conclusions suivantes : « Le moulin a toujours existé ou du moins de temps immémoriaux, il est très important pour la commune et doit être maintenu en roulement. En se conformant aux observations faites par l’ingénieur, jamais les eaux ne causeraient aucune inondation car il existe près de l’empalement une prise d’eau de 2 pouces (5,5 cm) sur 1 pied et demi de long (50 cm) ».
Cette ouverture est-elle suffisante pour écouler le surplus des eaux en cas de crue? On peut en douter. En effet, à quelques jours de là, le maire dresse procès-verbal à la demande de M. Bourgon, conseiller à la Cour de Besançon. «L. Pingaud, maire, accompagné d’Antoine Nardin, se sont transportés au moulin et ont constaté qu’une seule porte était levée et les deux autres fermées. Ils se sont déplacés sur le chemin du village au bas de la chaussée du pont et ont reconnu que l’eau couvrait cette partie du chemin sur une hauteur de 4 pouces (environ 10 cm)de telle sorte que l’accès au pont n’était pas possible. Retournés au moulin, ils ont engagé le domestique de M. Fouras à lever les deux autres portes. Il a répondu qu’il ne pouvait pas mais qu’une ouverture avait été faite pour faciliter l’écoulement ».Devant l’incapacité de la municipalité à résoudre ce problème, M. Bourgon prend l’affaire en mains et au printemps 1840 expose ses observations :
Il demande que l’administration fixe le niveau des eaux en retrouvant celui d’autrefois. Si le barrage provoque l’inondation du bas du village, le canal d’amenée des eaux au moulin déborde lui aussi car il est mal entretenu.
Ce bief comprend trois parties La première, établie en 1811, traverse le potager de M. Bourgon. Les deux autres, qui passent dans des vergers, existent depuis des temps encore plus anciens. L’eau est ainsi amenée à deux roues hydrauliques qui font mouvoir chacune un moulin à grains et une troisième l’huilerie. L’ensemble paraît de construction très ancienne.A l’intervention de M. Bourgon, A. Fouras réplique « qu’il dispose d’un titre devant notaire datant de 1716 et que l’origine du moulin est plus lointaine; qu’il en a toujours joui sans aucune opposition de la part des anciens propriétaires du château bien avant que M. Bourgon le possède; que le rétrécissement du bief d’amenée est la seule cause d’inondation du potager, l’ancienne largeur étant de 3 mètres. Il reconnaît que les roues sont très vieilles et que la chute les actionnant n’est que de 2 à 3 cm ; qu’en 1817 le canal dans sa partie la plus étroite mesurait 2 mètres de large et qu’il était bordé d’un bourrelet de terre de 50 cm de haut ; qu’actuellement il n’y a plus de bourrelet et que la largeur est au plus d’un mètre ».
Qui doit entretenir le bief ? Est-ce celui qui en profite, c’est à dire A. Fouras ou le propriétaire du terrain sur lequel il est creusé, M. Bourgon ?Au temps de l’Ancien Régime, les propriétaires du moulin payaient une redevance au seigneur du lieu pour le passage de l’eau sur ses propriétés et celui-ci faisait en sorte de maintenir l’ouvrage en bon état. La Révolution de 1789, en abolissant les privilèges, a balayé cet usage.
S’appuyant sur le Règlement des Eaux, le Préfet prend un arrêté le 30 novembre 1840 :
L’ordonnance royale, signée Louis Philippe, Roi des Français, est promulguée le 2 décembre 1844. Elle reconnaît au sieur Fouras la possession de deux moulins à blé et d’une huilerie établis sur une dérivation du ruisseau. Elle en réglemente l’usage et fixe les travaux à effectuer :
L’ingénieur de l’arrondissement envoie le 10 avril 1845 à Antoine Fouras la notification d’avoir à terminer les travaux pour le 10 avril 1846, au grand soulagement des habitants du bas du village.Or, l’agent des Ponts et Chaussée constate à la date échue que « Le sieur Fouras n’a exécuté aucun des travaux… » A. Fouras reçoit une mise en demeure du préfet d’avoir à s’exécuter dans les 2 mois.Un procès-verbal signé par l’ingénieur des Ponts et Chaussée, le maire et M. Bourgon montrequ’il ne s’est pas conformé à l’ordonnance royale, s’entête et lutte par tous les moyens.Il meurt le 25 novembre 1853, âgé de 91 ans. Il est vraisemblable que son successeur au moulin, Pierre Claude Fouras, ait fait le nécessaire pour mettre les différents ouvrages en conformité.
A partir de ce moment, tout semble aller pour le mieux. Plus d’inondations, l’eau s’écoule dans le lit naturel du ruisseau et les vannes du barrage sous le pont ne sont manœuvrées qu’aux périodes de fonctionnement du moulin dont l’activité se réduit et cesse au décès de P.C. Fouras le 29 mai 1882.
L’archevêché, devenu propriétaire du moulin et du château, transforme ce dernier en maison de retraite pour les prêtres âgés du diocèse. Les pensionnaires s’y livrent à leurs activités cultuelles mais aussi potagères, fruitières et autres pour aider à l’économie domestique.C’est dans ce cadre bucolique que se situent des événements que tous croyaient ne pouvoir se renouveler. En effet, le 5 février 1904, des propriétaires présentent une pétition au maire et le conseil municipal porte plainte: « Le curé Davot, pensionnaire au château, n’effectue pas quand il le devrait la manœuvre des vannes établies à la limite du château. Il se livre à la pisciculture dans un étang entre les vannes motrices du moulin et l’origine du canal de dérivation. C’est la raison pour laquelle il utilise les trois vannes faisant office de barrage et assurant l’alimentation du canal pour le moulin qui ne fonctionne plus depuis longtemps. Le 3 février 1904, sa négligence a provoqué l’inondation d’une rue située dans la partie basse du village et a rendu impossible l’accès au lavoir ».
Les meules enlevées en 1933 ont été remplacées par des pressoirs hydrauliques. Le débit irrégulier et insuffisant du ruisseau ne permet pas une exploitation régulière. La concurrence des grands minotiers diminue son activité. L’électricité fournie par l’usine de Moncley arrive en 1941 et lui redonne, pendant la période de l’Occupation, une activité clandestine dont profitent les habitants du village et ceux des communes voisines. Ils apportent secrètement leurs grains par sacs de 10 à 50 kg, leur colza ou œillette et repartent aussi discrètement avec leur farine, son et huile. Marcel Pasquier y passait ses nuits à moudre et à presser et avoue ne pas s’être enrichi mais n’avoir jamais manqué de tabac.En 1944, le moulin cesse définitivement de «rouler». La turbine sera démontée et vendue 50 francs l’année suivante pour être réemployée à Montboillon. Le canal d’alimentation sera comblé ainsi que celui de fuite.Le moulin est devenu de nos jours une maison d’habitation qui garde encore quelques traces du temps passé.